Crédit immobilier sans contrat de mariage : un véritable boomerang

Lorsqu’un prêt bancaire contracté par l’un des conjoints avant le mariage est remboursé en partie pendant le mariage, en cas de divorce, le propriétaire du bien doit verser une compensation financière à son ex-épouse, si le couple n’a pas établi de contrat de mariage. Explications de Maître Nathalie Couzigou-Suhas, notaire à Paris dans le V e arrondissement.

 Mariés sous le régime de la communauté : une erreur magistrale

 Pierre a de quoi se mordre les doigts. Pour résumer son histoire, il s’est marié avec Léa le 5 avril 1994, à Créteil dans le Val de Marne (94). « Ils n’ont pas établi de contrat de mariage. Au jour du mariage, Pierre était déjà propriétaire d’un appartement à Créteil où le jeune couple a vécu quelques mois, avant de déménager dans un appartement plus grand. Pierre avait emprunté auprès de sa banque pour acheter cet appartement et, au jour du mariage, il restait à rembourser la somme de 100.000 euros ; l’appartement avait coûté 200.000 euros à l’achat. Malheureusement, ils divorcent en 2017. Le prêt bancaire est alors remboursé et l’appartement vaut 300.000 euros aujourd’hui », témoigne Maître Nathalie Couzigou-Suhas.

Chez la notaire, « Pierre apprend avec effarement que si l’appartement lui appartient effectivement, il doit verser par contre une indemnité à son épouse, au titre du prêt bancaire remboursé alors qu’il était marié avec elle. Il comprend d’autant moins que l’appartement a toujours été loué après leur déménagement et le loyer versé par le locataire suffisait amplement à rembourser le crédit ». Pour information, Léa n’a d’ailleurs jamais payé la moindre mensualité.

« Pourtant, par le simple fait que le prêt a été remboursé pendant le mariage, Pierre doit bel et bien une compensation financière, appelée juridiquement « récompense » qui est réévaluée selon l’actualisation de la valeur du bien », explique l’officier ministériel.

 Une compensation de 75 000 euros

 « Le capital remboursé pendant le mariage a été de 100.000 euros (on ne tient pas compte des intérêts), ce qui correspond à 50% du coût d’achat de l’appartement. Ainsi, aujourd’hui, le bien valant 300.000 euros, cette récompense est évaluée à 150.000 euros (la moitié). Au final, Pierre devra verser une compensation de 75.000 euros à son ex-épouse », rapporte Maître Couzigou-Suhas. Régime de la communauté oblige !

 Qu’aurait dû faire Pierre pour éviter ce genre de déconvenue ? La question ne se serait pas posée si Pierre avait fini de rembourser son prêt avant de se marier. Dans ce cas, il n’aurait eu aucune compensation financière à verser à Léa.

 Compensation selon le capital remboursé et  la valorisation du bien 

Lorsqu’un bien est acquis avant le mariage et remboursé pendant le mariage, il n’y a qu’un seul moyen de se protéger : « faire un contrat de mariage », conseille Maître Couzigou-Suhas. En effet, étant donné que les ex-époux n’ont établi aucun contrat de mariage le 5 avril 1994, ils étaient automatiquement mariés sous le régime de la communauté réduite aux acquêts. Ce qui signifie qu’à la fin du mariage, les biens communs sont séparés en deux parts égales.

 Dans leur cas, le bien n’a pas été partagé puisqu’il était bien au nom de Pierre et ce dernier l’avait acheté avant même de se marier avec Léa. Néanmoins, il reste redevable vis-à-vis de son ex-femme d’une compensation calculée en fonction du capital remboursé pendant le mariage et également en fonction de la valorisation du bien au moment du divorce !

Régime de la séparation de biens : la voie royale

« Evidemment, la voie royale reste le régime de la séparation de biens, qui confère à chaque époux une grande indépendance financière et matérielle ». A noter que « même le régime matrimonial hybride de la participation aux acquêts ne l’aurait pas protégé non plus », souligne Maître Couzigou-Suhas. Si Pierre avait opté pour le régime matrimonial de la séparation de biens, il n’en serait pas là aujourd’hui. Une chose est sûre : il ne se fera pas avoir deux fois.

Alexandra Boquillon