Immobilier à Paris : l'État s'est fait avoir

Vendredi 6 décembre, la Cour des Comptes a fait paraître sur son site officiel un référé concernant deux cessions immobilières au désavantage de l'État. La première consiste en la vente de terrains à Paris à la Société Nationale Immobilière (SNI), pour un prix mal estimé. La deuxième consiste en une session de baux très longue durée, toujours a la SNI, pour un loyer de 152 € par an.

Vente de foncier à Paris pour un prix sous-estimé

19 millions d'euros hors-taxes dans le 15e arrondissement

En 2004, l'État français a vendu un terrain constructible dans le 15e arrondissement de Paris, pour la somme de 19 millions d'euros hors-taxes. L'acheteur était la Société Nationale Immobilière (SNI), le promoteur immobilier historique des institutions françaises. Jusqu'ici tout a été fait dans les règles de l'art, n'eut été pour l'évaluation du prix, selon la Cour des Comptes.

La SNI construit et revend

Au cours d'une longue opération immobilière achevée en 2012, la Société Nationale Immobilière procède alors à des reventes et constructions, dans le plus grand respect de son objet. Parking de trois niveaux en sous-sol, construction de 35 logements en accession libre et 142 logements sociaux, et surtout la revente d'une surface commerciale à la Caisse Interprofessionnelle de Prévoyance et d'Assurance-Vieillesse (CIPAV) pour 44,4 millions d'euros hors-taxes. Cette surface mesure 6000 m².

Enfin, la SNI a vendu des installations sportives à la Ville de Paris, pour un prix de 5,9 millions d'euros TTC.

Un prix de vente sous-estimé, selon la Cour des Comptes

La Cour des Comptes estime que même en calculant les coûts nécessaires à la réalisation de ces constructions, le prix du terrain dans le 15e arrondissement de Paris a été sous-estimé. S'il est clair que beaucoup d'agents immobiliers parisiens vont s'efforcer d'évaluer le prix de ce terrain en 2004, la Cour des Comptes ne s'y aventure pas. Elle ne fait que regretter l'absence de « clause de retour à meilleure fortune » ou de « partage de résultat ».

Les clauses manquantes, selon la Cour des Comptes

La clause de retour à meilleure fortune permet au créancier d'abandonner provisoirement une partie de ses créances. En échange, le débiteur lui versera une somme compensatoire lorsqu'il sera revenu à meilleure fortune. Dans ce cas, si l'État français avait inséré ce type de clause dans le contrat de vente passée avec la SNI, cette dernière aurait reversée une partie de ses bénéfices dans les caisses de l'État.

La Cour des Comptes met en avant le fait que l'on aurait également pu insérer une clause de partage des résultats. Le fond aurait été le même, l'État aurait perçu une participation aux bénéfices dégagés par l'opération immobilière effectuée par la SNI.

Vente d'immobilier mal négociée

152 € par an, bail jusqu'à 80 ans

Le ministère de la défense a accordé un bail dit emphytéotique à la Société Nationale Immobilière. Le principe est proche de celui du démembrement immobilier, en ce sens que le locataire dispose du droit de jouissance. Cependant, il peut agir comme s'il était propriétaire et construire en toute liberté. À la fin du bail, le loueur récupère la totalité des infrastructures, foncier et immobilier inclus. Jusqu'ici il n'y a rien d'anormal, hormis le montant des loyers: 152 € par an, pour des baux de 50 ans, voire 80 ans.

Des aides financières du ministère de la défense

La Cour des Comptes saut souligne que jusqu'en 2005, le ministère de la défense octroyait des prêts « à des conditions très favorables » aux signataires de ces baux emphytéotiques. Non-seulement les emprunteurs/constructeurs/locataires bénéficiaient d'un différé de remboursement de 10 ans, mais ils pouvaient dans certain cas rembourser pendant 50 ans.

Le rapport souligne que l'arrêté du 7 mars 2005 a mis fin à cette pratique, cependant la Cour des Comptes met en avant le fait que « ces montages sont donc conçus pour être financièrement attractifs pour l'opérateur ».

Une cession de terrains mal menée

La Cour des Comptes précise qu'à partir de 2009, la Société Nationale Immobilière a acquis 4 terrains domaniaux et 60 terrains sous bail emphytéotique « de gré à gré », donc sans appel d'offre de la part de l'État. Il semblerait cependant que les conditions particulières d'utilisation de l'immeuble ne justifiaient pas une cession de gré à gré. S'appuyant sur une série de lois, la Cour des Comptes précise que la cession des 4 terrains domaniaux aurait due se faire via un appel d'offres. Le résultat ne débouche pas sur un abus, mais simplement sur un manque à gagner pour l'État.

La réponse du ministère de la défense

Le ministre de la défense, M. Jean-Yves Le Drian, a adressé le 25 novembre une réponse à la Cour des Comptes. Il déclare prendre acte du fait que la haute institution déconseille l'utilisation du bail emphytéotique dans de nombreux cas.

Mais M. Le Drian précise que les négociations de 2009 concernant les baux emphytéotiques n'ont pas été conduites par le ministère de la défense, mais par France Domaine. M. Le Drian précise également que France Domaine est rattachée au ministère des finances. Il ajoute que ses services ont procédé à une analyse technique des 64 sessions, puis n'ont donné leur accord que pour la vente de 32 d'entre elles, « pour lesquelles l'intérêt stratégique de la défense n'était plus établi ».

Il ajoute que le ministère de la défense n'a pas joué de rôle direct dans le calcul de la valeur des sessions.

À priori pas d'abus

La Société Nationale Immobilière (SNI)

La SNI est la propriété intégrale de la Caisse des Dépôts. Son rôle est de réaliser des opérations immobilières pour l'État, notamment la construction de logements sociaux. Elle n'a donc pas d'objet commercial et à priori, a agit en respect de son objet.

France domaine

France domaine est un service dépendant du ministère du budget. Elle est chargée de la gestion des biens domaniaux, ainsi que de tout autre bien mis en vente par décision de justice. Il était donc logique que ce soit France Domaine qui prenne en main les ventes immobilières avec la SNI.

Des erreurs plus que des abus

Il semble que la Cour des Comptes regrette une mauvaise gestion des intérêts de l'État, sans mettre en avant d'éventuels abus. Le public a encore en tête l'affaire de domaines vendus sous-cotés par M. Éric Woerth lorsqu'il était ministre des finances, il semble à priori que nous ne soyons pas dans le même cas. Concernant ces deux affaires distinctes, il n'y aurait que la Société Nationale Immobilière qui tirerait parti de cessions sous-estimées.

Comme le veut la loi, la Cour des Comptes a rendu l'affaire publique et l'a porté à la connaissance de l'Assemblée nationale et du Senat. L'avenir proche nous dira s'il ne s'agit que d'une remontrance ou de la naissance d'un feuilleton politico-financier.