Immobilier : pourquoi les bailleurs ont-ils tout intérêt à rénover leur bien avant de le relouer ?

Selon les derniers résultats de l'Observatoire CLAMEUR (Connaître les Loyers et Analyser les Marchés sur les Espaces Urbains et Ruraux), publiés cette année, le taux d’effort d’entretien et d’amélioration de la part des bailleurs du parc locatif privé lors de la relocation a encore baissé en un an. Pourtant il est crucial d’entretenir votre patrimoine immobilier afin qu’il ne se dévalorise pas dans le temps. Pourquoi les bailleurs ont-ils tout intérêt à entretenir leur bien entre deux locations ? Quels sont les bénéfices ? Réaction de Michel Mouillart, Professeur d’économie à l’université Paris-ouest et co-fondateur de l'Observatoire CLAMEUR (Connaître les Loyers et Analyser les Marchés sur les Espaces Urbains et Ruraux), et de Christophe Demerson, Président de l’Union Nationale des Propriétaires Immobiliers (UNPI France), un des membres fondateurs de CLAMEUR.

 Selon l’Observatoire CLAMEUR, créé en 1998, le taux d’effort d’amélioration et d’entretien de la part des bailleurs est au plus bas. En effet, les travaux à la relocation dans le parc locatif privé se sont effondrés à 13,3 % en 2018.  Année après année, CLAMEUR constate que les bailleurs entretiennent de moins en moins leur bien, au détriment des locataires et de la valorisation de leur patrimoine. Si l’on compare ce taux d’effort enregistré en 1998 et en 2018 : le résultat est très préoccupant : - 43% d’effort d’amélioration et d’entretien (passant en une vingtaine d’années de 23,4% à seulement 13,3%).

Selon le professeur Michel Mouillart, les bailleurs n’ont plus la capacité financière d’entretenir leur patrimoine. En effet, face à une charge fiscale qui s’alourdit, face aux rendements qui s’amenuisent en raison notamment des prix d’achat élevés et des loyers en panne aux quatre coins de l’Hexagone, face à un taux de vacance parfois significatif dans des petites communes ou villes moyennes, certains bailleurs se retrouvent pris à la gorge. L’instabilité règlementaire n’incite pas les bailleurs à engager des frais d’entretien, puisqu’ils se retrouvent dans une incertitude qui constitue un frein au final. Ils préfèrent garder les recettes locatives au lieu d’engager des dépenses d’entretien pour faire face à de nouvelles charges éventuelles (augmentation des impôts etc.). Or, « un bien non entretenu n’a plus de sens », selon Christophe Demerson, président UNPI France. Et d’ajouter, « C’est comme une voiture garée sur un parking, cela n’a aucun intérêt. Un bien fait partie d’un patrimoine, d’un projet. Si l’on ne croit plus en son produit, il faut savoir faire des arbitrages, parfois vendre ou donner à ses enfants. Ou bien faire des travaux pour recentrer son projet et redonner du sens à la détention du bien ».

Entretenir votre patrimoine : quels bénéfices ?

En effet, faire des travaux d’entretien, c’est rentrer dans vos frais à terme. Déjà, entretenir le bien permet d’améliorer la relation avec votre locataire. Si vous réalisez des travaux de rénovation énergétique (changement des fenêtres…), il en découlera un impact positif pour le locataire qui verra ainsi sa facture d’énergie diminuer. Un locataire qui est satisfait restera plus volontiers dans le bien. Qui dit moins de turnover, et moins de vacance locative, dit aussi moins de soucis et plus de rentabilité pour le propriétaire. Enfin dernier bénéfice et non des moindres pour le propriétaire qui entretient son patrimoine : le bien sera valorisé et il pourra ainsi le revendre plus cher à terme. A noter que l’encadrement des loyers à la relocation ne permet pas d’augmenter librement le loyer lors de la signature d’un nouveau bail, « sauf justement si le bailleur a réalisé des travaux depuis moins de 6 mois au moment de la relocation et que le coût des travaux est au moins égal au montant d’une année de loyers perçus », précise Christophe Demerson.

Un taux d’effort d’entretien de plus en plus bas

Sur le terrain, de moins en moins de propriétaires font des travaux d’entretien entre deux locataires, comme le prouvent les statistiques de CLAMEUR. Seule exception qui confirme la règle :  Paris, où 25% des relocations se font après réalisation de travaux (des travaux significatifs comme le changement des fenêtres, la reprise de l’installation électrique, le changement de la chaudière…). « Pas étonnant », selon le professeur Mouillart car les niveaux de loyers sont élevés (26 euros environ au mètre carré). Les bailleurs ont ainsi la capacité financière de réaliser des travaux d’amélioration pour entretenir leur patrimoine immobilier.

Mais Paris n’est pas la France. « Dans des métropoles comme Lyon, Marseille, Bordeaux ou Nice, le pourcentage de relocations effectuées après travaux d’entretien est moins élevé. Et l’on constate depuis quelques années un affaiblissement de cet effort. Par exemple à Lyon où au cours des 20 dernières années, le taux d’effort et d’amélioration s’est établi à 15 %, en moyenne. Mais depuis 4 ou 5 ans, ce taux a chuté à 10% », observe Michel Mouillart. Dans des villes moyennes de province, des préfectures comme Brest, Nevers ou Colmar, il s’effondre même à moins de 10%. Pire, dans des villes moyennes de province qui sont en dehors des territoires dynamiques, comme Millau ou Guéret, pour ne citer qu’elles, on est à moins de 8%.

Urgence à réorienter les stratégies publiques !

« Cette évolution est plus que préoccupante, elle devrait véritablement conduire les pouvoirs publics à réagir. Les discours que l’on entend aujourd’hui sur la rénovation énergique, sur la lutte contre les conséquences du réchauffement climatique, alors qu’en parallèle une partie importante de logements du parc locatif privé ne sont plus en capacité de faire face aux enjeux pourtant clairement affichés dans la loi sur la transition énergétique. Rappelons que selon cette loi, 50 000 logements du parc locatif privé devaient bénéficier tous les ans d’un effort d’amélioration et d’entretien. Or ce n’est pas jouable », martèle Michel Mouillart. « Par conséquent en France nous avons un patrimoine immobilier qui est en train de se dévaloriser. En observant la situation des territoires à la loupe, il y a une véritable inquiétude qui doit nourrir les réflexions politiques et certainement réorienter les stratégies publiques. En tout cas, la rénovation énergétique par des agences publiques ne doit plus simplement concerner quelques petits milliers de logements par an. C’est un problème de massification et non plus de communication », avertit le professeur Michel Mouillart.

Propos recueillis par Alexandra Boquillon.