Plus le crédit est abordable, plus l'immobilier est cher ?

C'est une petite bombe que vient de lâcher l'économiste Jacques Friggit. Dans un rapport rendu public sur le site du développement durable, il balaye la responsabilité de la carence de logements dans la hausse des prix de l'immobilier. Selon son étude, l'allongement de la durée des crédits aurait certes permis d'augmenter le pouvoir d'achat des ménages, mais également les prix du m². L'intérêt des investisseurs pour les appartements de petites surfaces aurait fait le reste du travail, et au final la différence entre le coût d'un logement et les revenus des ménages se serait allongée.

Le crédit responsable des prix de l'immobilier ?

La baisse des taux d'emprunt augmente le pouvoir d'achat

C'est en se basant sur des données rendues publiques entre autres par l'INSEE, que l'économiste Jacques Friggit a publié son rapport sur le site du ministère du développement durable.

Bien sûr l'amélioration du marché des crédits permet d'augmenter le pouvoir d'achat des ménages, mais il peut y avoir un effet perverse. Pour l'observatoire CSA/Crédit Logement, la baisse des taux d'emprunt intervenue depuis la fin 2012 « équivaut à un recul des prix de 10 % sur le marché de l'ancien comme celui du neuf ». Une tendance qui semble confirmée par la bonne santé du marché de l'immobilier, pour le réseau ORPI les réservations auraient augmenté de 4,5 % depuis le début de l'année.

Du côté des promoteurs on constate avec soulagement une hausse des ventes de 10 % par rapport à l'année dernière, tandis que les banques accordent davantage de financement aux particuliers, à un tel point que le temps de traitement des dossiers de crédit se rallonge notablement.

En septembre 2012, les taux fixes sur 25 ans se situaient en moyenne à 3,90 %, en mars 2015 ils sont tombés à 2,63 %. En conséquence au premier trimestre 2015 les moins de 35 ans empruntaient davantage sur des durées de 20 à 25 ans, augmentant ainsi leur pouvoir d'achat. Avec la baisse des taux d'intérêt ils pouvaient rallonger la durée des remboursements, tout en obtenant de faibles mensualités et surtout un coût total à terme leur permettant de revendre au bout de quelques années, avec plus-value.

Hausse de 70 % en 7 ans

Seulement voilà, selon l'étude de Jacques Friggit le prix des logements aurait augmenté de 70 % par rapport au revenu des ménages, uniquement entre 2000 et 2007. Pour acheter un logement similaire, en 1965 il était nécessaire de s'endetter sur 15 ans, contre 33 ans en 2007. Et de conclure que « l'allongement de la durée des prêts a apporté un complément de la capacité d'emprunt ».

Ainsi le fait de construire davantage de logements n'aurait pas changé grand-chose au prix du marché. Selon l'économiste, si l'on avait construit 350 000 logements par an pendant cette période, les prix n'auraient baissé au maximum que de 2 %. Un pavé dans la mare des promoteurs, qui trouveront certainement nombre d'arguments à opposer à cette théorie. Selon les professionnels du bâtiment, le prix du foncier et les coûts de production les obligerait à situer les prix de l'immobilier neuf au-dessus de ceux de l'ancien.

Sur ce point l'auteur du rapport apporte un éclaircissement intéressant. Selon lui l'augmentation du prix des terrains à bâtir serait tout simplement du fait de la hausse des prix de vente des habitations environnantes. L'inflation du foncier serait ainsi « la conséquence, non la cause, de l'augmentation du prix des logements ».

L'investissement locatif fait monter les prix

Dans un rapport paru en début d'année, l'INSEE avait pointé du doigt l'augmentation plus forte des loyers dans les zones où l'APL est distribuée. L'institut établissait ainsi une relation entre les aides et la hausse des loyers.

Cette observation est reprise par Jacques Friggit sous un angle différent. À partir du krach des années 2000 provoqué par l'explosion de la bulle immobilière, l'intervention des banques centrales permit de baisser les taux d'intérêt. Le rendement obligataire devint alors moins intéressant et les investisseurs tournèrent leurs yeux vers le locatif. Le Législateur lui aussi fut pris d'aversion envers les placements boursiers, et facilita l'investissement dans l'immobilier.

C'est ainsi que le prix des appartements de petites surfaces augmenta notablement dans les zones urbaines, par opposition à celui des grands appartements et des maisons, en zone urbaine et en zone rurale.

 

Banques et promoteurs ont évité le krach immobilier

Prêter uniquement à ceux qui peuvent rembourser

La crise économique a explosé aux États-Unis en 2007, et est arrivée sur les rivages de la vieille Europe en 2008. Elle a pour origine une masse gigantesque de prêts immobiliers accordés à des classes moyennes, dont la capacité de remboursement était déjà insuffisante au moment de la signature du contrat. En supplément le taux était variable et non capés, ce qui signifie que les banques pouvaient à loisir augmenter les mensualités. C'est ce qu'elles firent afin de compenser des pertes venues d'un autre côté, probablement de celui des marchés émergeant.

Les mensualités grimpèrent tant et si bien que les emprunteurs se mirent en défaut, et que cette masse de défaut obligea les prêteurs à eux aussi faire défaut. L'effet domino était lancé, les remous s'en font encore ressentir aujourd'hui.

Mais point de ce scénario à l'américaine selon l'économiste. D'une part les banques françaises ont utilisé des sources de financement plus prudentes, et d'autre part elles ont prêté principalement à taux fixe. Lorsqu'elles prêtaient à taux variable, ces taux étaient raisonnablement capés. Mais surtout, une enseigne bancaire se tient à la bonne vieille règle des 33 % de taux d'endettement futur maximum.

Les promoteurs n'ont-ils vraiment pas assez construit ?

Avant la révision de la méthode de calcul du commissariat au développement durable, on apprenait que la France construisait moins de 300 000 logements par an. Après révision des chiffres on est remonté au-delà des 350 000, là où l'on aurait bien vu 500 000 logements neufs sortir de terre à chaque nouvelle année.

Et pourtant c'est justement la raréfaction des grues dans le ciel des zones urbaines françaises, qui a permis de ne pas tomber dans un scénario espagnol. Outre Pyrénées, les promoteurs s'en sont donnés à cœur joie, construisant à qui mieux mieux et faisant grimper les prix. Le système bancaire local avait suivi en reprenant la stratégie du libéralisme américain : prêter quasiment les yeux fermés, à des taux élevés.

Or en France la raréfaction de l'offre a justement permis d'éviter le développement d'une bulle. Il reste que l'on se retrouve toujours face à une carence d'offre de logements, malgré les efforts des acteurs.